“La seule façon d'apporter la paix au monde est d'apprendre soi-même à vivre en paix” 
Jack Kornfield

Comprendre l'histoire de l'imc et ses limites

Par Alexandra Palao | 10 octobre 2022

Souvenez-vous que je ne cherche à convaincre personne, juste à nous donner à réfléchir sur un sujet de santé public. 

Je m'intéresse aujourd'hui à l'IMC et à son histoire. Je reviendrai sur le pouvoir de la balance prochainement. 

Je m'appuie ici sur les travaux en sociologie de Jean-Pierre POULAIN, extrait de son précieux livre Sociologie de l'Obésité. 
Ces éléments clés et peu méconnus sous-tendent le livre que j'écris pour partager mon regard sur l'alimentation. 

Un peu d'histoire pour mieux comprendre...

En 1832, Adolphe Quetelet présente à l’Académie Royale de Belgique un mémoire intitulé « Le poids de l’homme aux différents âges ». 
« Pour la première fois, apparaît une connaissance systématique de la distribution du poids parmi les êtres humains. (…) Lorsqu’il travaille sur cet indice, il ne cherche pas à mesurer l’obésité des adultes, ni même celle des enfants, il s’intéresse à la dynamique corporelle. Il veut neutraliser l’effet de la taille pour rendre compte de d’évolution de la corpulence avec l’âge.

Certains  déclarent son outil "un peu trop rudimentaire » à l'époque. Malgré tout, ses travaux sont à l'origine de l'IMC que nous connaissons tous.
 
« Deux lignes de travaux distincts vont imposer l’IMC comme l’outil  de mesure de la corpulence puis de définition de l’obésité. (…) Il empêche de sous-évaluer ou de surévaluer l’obésité des sujets de petite ou grande taille, s’avère un bon prédicteur du pourcentage de masse grasse entrant dans la composition corporelle. (…)".

Plus ou moins utilisé selon les milieux,  l’usage de l’IMC se généralise et s’impose dans les années 90. 

L'IMC a-t-il été choisi pour sa fiabilité?  

« La practicité a été un facteur déterminant de sa diffusion dans l’univers de la santé et dans le grand public.(…) ».
 
« Cependant, s’il est un bon indicateur pour classer les individus en fonction de leur quantité de masse grasse à l’échelle des populations, cela n’est pas le cas à l’échelle individuelle. En effet, l’IMC induit des risques d’erreurs liées à la part variable de la masse osseuse, de la masse musculaire et des liquides dans le poids corporel. Car il ne rend pas compte de la véritable composition corporelle, c’est-à-dire des proportions de masse grasse et de masse maigre. ».
 
L'IMC n’est donc pas destiné au grand public et n’est pas totalement fiable pour un usage individuel.

Ce n’est pas tout.
 
« Aucune étude d’intervention de longue durée ne démontre une baisse substantielle de la morbidité[1]et de la mortalité consécutive à une diminution durable du poids ».
 
« Dans ce contexte, la diffusion sans précaution de l’IMC dans la connaissance ordinaire par les campagnes  de santé publique présente le risque de transformer cet outil de « norme médicale » et son système classificatoire en « norme sociale » fournissant ainsi  des arguments pseudo-scientifiques  à la recherche obsessionnelle de la minceur et de son intensification (Poulain, 2000) (…)
 
Les appels à la prudence et à la nuance ne sont pas facilement audibles quand l’idéal de minceurs et les peurs sont activés.
 
Citons Arnaud Basdevant, qui évoque le fait qu’il« n’existe aucun argument pour définir un poids théorique auquel chacun devrait se référer de manière univoque : la zone de poids recommandable est large » (Basdevant, 2000) ».

Le poids normal, selon l'IMC, a-t-il toujours été le même qu'aujourd'hui? 

Aujourd'hui, votre poids est considéré comme normal selon les critères de l'IMC si votre IMC est entre 18,5 et 25. Est-ce le cas depuis toujours? 

« La construction des classes d’IMC est un exercice qui échappe difficilement à une certaine part d’arbitraire. (…) 
Jusqu’en 1998, aux Etats-Unis, la classe du poids normal s’étend de 20 à 27,6, pour les hommes et de 20 à 27,3 pour les femmes. 
Sous l’influence d’un groupe de travail, l’OMS proposera de faire passer la frontière entre surpoids et poids normal de 27 à25 sans distinction de sexe, d’âge, ni de type anthropologique. A l’inverse, la limite entre poids normal et maigreur passant de 20 à 18, cela a« normalisé » des corpulences jusque-là considérées comme trop faibles. La totalité des pays du monde suivront cette nouvelle catégorisation.  »

Pourquoi je vous partage cette histoire? 

Aujourd'hui les mangeurs sont en lutte avec leur corps, mesuré à l'aune de l'IMC. 
Je reçois des femmes qui n'en peuvent plus de lutter contre leurs envies, des mères inquiètes pour leurs enfants, qu'elles mettent en restriction pensant bien faire. 

Peut-on vivre une vie pleine de sens en se restreignant sur l'alimentation en permanence? 

Non. Car cette même énergie psychologique dédiée à la vigilance envers ce qu'on mange est nécessaire pour travailler, apprendre, planifier, organiser sa vie. 

Et que le contrôle et la restriction deviennent une charge mentale considérable quand ils ne font pas le lit de troubles du comportement alimentaire. 

Que répondre à R, alors? 

L'inviter à sortir du cadre de l'IMC. 
L'aider à comprendre ce qui le fait manger en excès quand c'est le cas. 
Bien souvent, c'est une seule et même chose : LA PEUR. 
De trop manger, de ne pas être aimé et aimable. 

Ne pas nourrir sa peur. Son sentiment de ne pas être ENOUGH. 
Travailler sur sa confiance en lui, ses RESSOURCES intérieures, plutôt que focaliser sur ses failles. 
Et l'aider, ainsi que chaque être, à accueillir ses failles car c'est par là qu'entre la lumière. 
Et oui. 

C'est valable pour chacun d'entre nous, qu'on soit aidant, parent ou professionnel du santé, éducateur. 
En fait, tout cela parle de notre humanité commune. 

Qu'en pensez-vous? 
Au plaisir de vous lire.
Alexandra 
Avec foi dans un monde plus inclusif et plus compassionnel. 


[1] La morbidité est le nombre de malades dans une population pendant une période donnée, la mortalité est le nombre de personnes mourant d’une même maladie.




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