“La seule façon d'apporter la paix au monde est d'apprendre soi-même à vivre en paix” 
Jack Kornfield

Nos enfants nous accuseront ?

Par Alexandra Palao | 24 juillet 2016
Pendant les instants qui ont précédés cette mise en mots, je me suis connectée à plusieurs reprises à mon ressenti : une oppression, ou plus précisément un poids, au niveau de la poitrine, quelque chose de chaud et doux à la fois, des ondes de chaleur qui se diffusent, en cercles, en mouvement perpétuel.
 
Bizarre ?
Non.
Le ressenti corporel véhicule des messages précieux, justes. Tout –ou presque- ce dont nous avons besoin est là, à portée de mains, si on accorde à notre corps l’attention nécessaire.
 
Mon ressenti corporel me signale « simplement », et avec insistance toutefois, qu’il y a quelque chose en danger. Une de mes valeurs est en péril : celle d’aider ceux qui en ont besoin et conscience à manger sereinement, à prendre soin d’eux et de la planète par leur assiette. Un projet d’une vie qui rend la vie plus belle, plus douce, source d’une multitude de petits bonheurs quotidiens.
 
Insistance car je ne prends pas le temps de me poser pour tenter une action par les mots.
Je rêve d’écrire un livre pour enfants et parents.  Mais je suis une militante de terrain.
Et en plus de mes actions sur le terrain j’ai une grande famille. Et il est vital pour moi d’en prendre soin. Je fais donc des choix.
 
Mais chaque expérience familiale autour du goût, des émotions (il y a de la matière, vous vous en doutez !!), chaque atelier avec les enfants des écoles, me rappellent la nécessité vitale de partager mes expériences.
 
Oui. Nécessité vitale. J’essaye de peser chacun de mes mots, de mon mieux.
 
J’en appelle au réveil des journalistes. Ceux qui se donnent bonne conscience en véhiculant des messages soi-disant bienveillants, le dernier que j’ai en mémoire est «Laissez-nous manger en paix ! », et qui n’ont pas la curiosité d’aller voir les initiatives sur le terrain alors même que des informations leur parviennent.
 
Réduire les sujets en lien avec les ravages de la surinformation nutritionnelle et alimentaire aux adultes est- à mon humble avis- ne voir que la partie émergée de l’iceberg.
Quand allons-nous réaliser les effets collatéraux de ces ravages sur les enfants ?
 
Le monopole médiatique de certains professionnels de l’alimentation me questionne également.
 
J’essaye de ne pas juger mais je me pose une question : quelle est leur motivation ? Le copinage ? Le confort ? L’ego et ses besoins ? Ont-ils seulement conscience de faire du mal ? L’intérêt capitaliste est-il donc encore le seul présent ?
Je préfère laisser à ces journalistes de tous bords une liberté d’introspection pour trouver les bons mots.
Je me tiens, bien entendu, à leur disposition pour échanger sur le sujet.
 
Mon ressenti me révèle une émotion qui est là depuis longtemps. De la colère, de la frustration de constater que mes expériences de terrain me racontent l’histoire incroyable, triste de ces enfants élevés dans une restriction cognitive de tout bois.
Et que cette histoire se répète jour après jour dans l’indifférence générale[1].
 
Lorsque je demande à mes petits participants (âgés de 6 à 11 ans) s’ils aiment le sucré (en introduction d’une dégustation de sucré-salé), je leur demande de répondre simplement, par oui ou non, ou avec une petite phrase, voici ce qu’un tiers d’entre eux me répondent (les fautes d’orthographe sont corrigées…):
-« Oui, mais il faut pas abuser »
-« Oui, mais pas trop non plus sinon tu grossis »
-« Nous à la maison, on n’a plus de sucre car Papa (ou Maman) est au régime »
 
Ces phrases émanent de jeunes filles essentiellement, plutôt de 10-11 ans.
 
En écrivant ces lignes, je garde le contact avec mon corps, et la pression thoracique devient plus forte. Elle remonte au niveau de la gorge. Je prends un temps pour accueillir cette sensation. Je prends quelques respirations conscientes pour m’apporter l’attention et la douceur nécessaires dans ce moment.
 
La pression s’atténue. Je peux poursuivre le fil de ce qui émerge, instant après instant comme une action prioritaire en cet instant.
 
Urgence. Nécessité impérieuse.
 
Ce n’est pas la première ni la dernière fois que j’utilise ces mots. Ils sont forts. J’en ai conscience. Mais ils ont le mérite d’exister et la force est parfois utile.
 
Je les ai utilisés avec les instances décisionnaires de  l’Education Nationale pour proposer un programme d’ateliers du goût (et des 5 sens) en lien avec la pleine conscience.
Une évidence pour moi, car travailler sur le sensoriel sans faire un joli, doux et joyeux nettoyage de printemps dans les croyances alimentaires et émotionnelles c’est autant de coups d’épée dans l’eau. Vous avez l’image ? Moi oui.
 
Proposer des interventions de diététiciennes sur le goût, la dégustation permet juste de se donner bonne conscience. Cela galvaude la démarche sensorielle pourtant si belle.
Vivre une dégustation avec un discours diététisant en toile de fond et le message « il ne faut pas manger trop gras et trop sucré » est dissonant.
 
Le rectorat de Versailles m’a signifiée mon interdiction d’intervenir en temps scolaire 5 jours avant le démarrage prévu de mes ateliers en janvier dernier. Tout était en place avec l’école, l’enseignante. Pendant 2 mois personne ne m’a informée  des motifs de cette décision. Après un courrier à Mme Najat Vallaud-Belkacem, j’ai reçu une lettre du rectorat m’expliquant que « mon programme ne correspondait pas aux attentes des actions éducatives menées dans le cadre de la prévention du surpoids et de l’obésité ». J’ai fondé mon programme pour les élèves en cohérence des objectifs pédagogiques du BO du cycle 3, avec force propositions de transversalité.
 
Autant ne rien dire.
 
Ne pas se mouiller. Rester enfermés dans des croyances, des peurs. Rester dans le connu sans explorer le monde.
 
Le mot qui me vient est « pathétique ». Mais surtout une vague de tristesse m’envahit, lorsque je pense à tous ces enfants déjà en difficulté face aux aliments, et qui traîneront cela toute leur vie.
 
La colère était là aussi mais je sais qu’elle n’est pas bonne conseillère. Donc je laisse passer les petites vagues de colère, et j’agis au plus juste.
 
Cette colère, une fois apaisée, laisse une trace de chaleur dans mon cœur qui me guide dans mon « combat » quotidien, un combat tout doux pour éveiller les enfants aux merveilles dont recèle notre lien aux aliments si on veut bien les cultiver avec curiosité et attention.
 
De grâce !!! Réveillez-vous !! Parents, journalistes !!! Il est grand temps de communiquer et de s’ouvrir à quelque chose de plus grand, plus doux et plus profond !!!
Pour le bien et le bonheur de tous.
 
Voilà, c’est dit.
Mon propos se veut doux et non-violent. Il s’agit d’ébranler -un peu, beaucoup…- les croyances rigides, les dogmes, les solutions extérieures à chacun de nous.
Cela nécessite de traverser des périodes certes de doutes, d’inconfort (car on s’ouvre à l’inconnu) mais « for the best », la liberté, l’éveil, et la douceur jour après jour.
 
 
[1] Sauf pour ceux qui, constatant un problème, vont mettre ou faire mettre leur enfant au régime ou vont l’inviter à « faire attention », ce qui revient au même.

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